ALEXANDRE SHIELDS, LE DEVOIR

Malgré les craintes formulées par de nombreux scientifiques et les appels au moratoire, le gouvernement Trudeau ne s’oppose pas à l’exploration et à l’exploitation minières dans les océans. Il plaide toutefois pour l’imposition de « moyens efficaces » de protection des écosystèmes des zones convoitées par cette industrie naissante. L’exploration minière en milieu marin n’est pas non plus formellement interdite dans les eaux canadiennes.

Alors que l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM) prépare le cadre réglementaire qui doit ouvrir la porte à l’exploitation minière des fonds océaniques de la planète, Le Devoir a interpellé le gouvernement du Canada afin de connaître sa position de pays membre de l’AIFM sur le sujet.

Selon ce qui se dégage des réponses fournies par Ressources naturelles Canada, le gouvernement Trudeau ne s’oppose pas au démarrage de cette industrie, mais il appelle à la prudence. « Le gouvernement du Canada veillera à ce que les discussions sur les minéraux des fonds marins qui se déroulent sous l’égide de l’Autorité internationale des fonds marins prévoient des moyens efficaces de protéger les milieux marins, conformément à la Convention des Nations unies sur le droit de la mer », précise-t-on par courriel.

Dans une seconde réponse, le ministère fédéral indique qu’une « gestion scientifique et transparente » est nécessaire, ainsi que des « contrôles de la conformité ». Ressources naturelles Canada rappelle aussi que le gouvernement est membre du « Groupe de haut niveau pour une économie océanique durable », qui comprend notamment le Japon, la Norvège et l’Australie. Ce regroupement s’engage, au cours des prochaines années, à « veiller à ce que toutes les activités minérales des fonds marins au sein et au-delà [du territoire] national soient conformes à des normes environnementales rigoureuses ».

La réglementation présentement négociée par les pays membres de l’AIFM, qui s’appliquera aux eaux internationales, devait être fixée en 2023. Sa mise en œuvre pourrait cependant être retardée, notamment en raison des contraintes de la pandémie. Selon l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer, la technologie nécessaire à l’exploitation, même à de grandes profondeurs, pourrait être opérationnelle d’ici cinq à dix ans.

Un total de 31 permis d’exploration ont déjà été accordés par l’AIFM. Ils sont détenus par 22 entreprises ou États. Ils représentent une superficie de fonds marins des océans Atlantique, Indien et Pacifique qui totalise plusieurs centaines de milliers de kilomètres carrés. Une vaste région du Pacifique située à l’ouest du Mexique suscite toutefois particulièrement la convoitise : la zone de Clarion-Clipperton. Des permis pour plus de 1,2 million de kilomètres carrés y sont actifs, détenus par 16 promoteurs différents. On retrouverait dans ces fonds marins plus de 20 milliards de tonnes de nodules polymétalliques, qui comptent plus d’une dizaine d’éléments chimiques différents.

Toutes ces ressources enfouies dans le fond des océans pourraient répondre à une demande industrielle croissante au cours des prochaines décennies, notamment pour la fabrication de téléphones cellulaires, d’ordinateurs et de véhicules électriques, mais aussi pour la production d’énergie solaire et éolienne.

Moratoire

Alors que les négociations progressent à l’AIFM, la porte-parole de l’organisme MiningWatch Canada, Catherine Coumans, estime que le Canada ne participe pas suffisamment aux discussions. D’autres États ont pourtant réclamé clairement un moratoire, précise-t-elle, en soulignant comme exemples le Parlement européen et des scientifiques. Des entreprises se sont jointes au mouvement, dont BMW, Samsung, Google et Volvo.

Même son de cloche du côté du député néodémocrate Gord Johns, qui a interpellé le gouvernement Trudeau sur ce dossier en décembre dernier, à la Chambre des communes. « Il faut que le Canada agisse et qu’il plaide pour un moratoire sur l’exploration minière dans les fonds marins. C’est un des seuls endroits de la planète qui est encore relativement préservé de l’activité humaine, et ce sont des écosystèmes critiques pour la biodiversité de la planète », fait-il valoir en entrevue.

Par ailleurs, est-ce que les milieux marins des vastes zones côtières du Canada pourraient aussi un jour être convoités ? Chose certaine, le gouvernement fédéral n’a pas expressément fermé la porte. « L’exploration minière n’est pas formellement interdite dans les eaux de la zone économique exclusive du Canada », répond Ressources naturelles Canada.

Le gouvernement Trudeau s’en remet toutefois à la législation de protection de ces écosystèmes déjà en place, dont la Loi sur les pêches, qui interdit à quiconque de causer la mort du poisson par des moyens autres que la pêche. Celle-ci interdit également la détérioration, la perturbation et la destruction des milieux marins, mais aussi le rejet de substances nocives. « D’autres lois peuvent s’appliquer, dont la Loi sur l’évaluation d’impact, la Loi canadienne sur la protection de l’environnement et la Loi sur les espèces en péril », précise le ministère.

Dans ce contexte, Catherine Coumans juge que le Canada demeure vague sur ce dossier en refusant de dire explicitement que le pays ferme la porte à cette industrie. « Ils essaient de cacher quoi ? Les scientifiques sont pourtant formels : l’exploitation minière des fonds marins serait extrêmement dommageable pour les écosystèmes des profondeurs, qui sont par ailleurs directement liés aux eaux intermédiaires, dont dépend par exemple l’industrie de la pêche. »

Le Devoir n’a relevé aucun projet minier d’exploration en milieu marin canadien. Au Québec, cette industrie est interdite dans les eaux du Saint-Laurent.